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Reset the game & Retry

Le monde de l’entreprise et de ses turpitudes comme si vous y étiez… Qui ne rêve pas d’en prendre la mesure, à la manière de cette fameuse « helicopter view » dont on parle si souvent ?

Pierre Hurstel, conférencier et ancien DRH worlwide de EY, est particulièrement bien placé pour nous introduire dans l’antre des bouleversements actuels et prodiguer de précieux conseils, quasi philosophiques, sur la vie après la vie (estudiantine).

Pour CREA, il décrypte avec acuité et non sans une forme de clairvoyance, le monde des organisations, entre mythe estudiantin et réalité économique. Il nous offre aussi quelques clés pour nous permettre de fourbir nos armes. Car, When you play a game of thrones you win or you die! Attention spoiler !

Que pensez-vous de l’étudiant à l’ère du 2.0, voire bientôt du 3.0 ?

Il me semble que nous avons beaucoup moins de conseils à donner aujourd’hui aux étudiants qu’il y a 10 ou 20 ans. Ils ont par exemple une familiarité avec la création d’entreprise plus précoce que leurs aînés. Pour deux raisons : il est plus simple de créer des structures au XXIe siècle, et surtout les étudiants mettent en œuvre leurs idées plus tôt qu’auparavant. Ils s’autorisent à penser des modèles et à les tester. Il n’est donc pas rare qu’un jeune qui sort à peine de son cursus ait déjà monté une ou deux startups — pas toujours avec succès —, mais elles représentent déjà un apprentissage et non un marquage d’échec. Ces « brouillons d’entreprise » sont considérés comme des passages presque obligés dans certaines filières. Ainsi lorsqu’il arrive sur le marché du travail, le jeune est déjà familiarisé avec la notion de « reset the game and retry ». Prendre l’habitude de recommencer quand on échoue est assez intéressant. Auparavant, l’échec était vécu comme un affront, on n’osait pas le montrer, c’est beaucoup moins le cas de nos jours. Fini le temps où la panacée consistait à devenir cadre dans une grande entreprise ou dans l’administration. Aujourd’hui on souhaite créer de la valeur avec son propre concept.

Quelles sont les compétences qu’un employeur attend de la part d’un étudiant ?

L’expérience démontre qu’il n’y a que deux types de compétences : celles dont le marché veut et celles dont il ne veut pas. Les compétences dont on a besoin, tout le monde veut vous les voler si vous les avez. Mais elles sont désormais hyper volatiles. Ne dit-on pas que la génération Y est hyper court-termiste ? Pour garder ces jeunes au sein d’une entreprise, pas de miracles, il faut créer de vraies structures solides, à savoir une culture d’entreprise et sa mémoire. Ce qui caractérise l’arrivée d’un jeune diplômé dans une organisation? Il est souvent hyper déçu de l’atmosphère dans laquelle il entre. Il se produit une forme de régression entre la période d’études qu’il vient de vivre et son arrivée dans ce nouveau monde. L’exemple type ? Son dernier week-end Airbnb à Prague avec un vol à 40 euros et du covoiturage pour aller à l’aéroport avec une nouvelle connaissance qui a liké son voyage. Il a bien mangé pour assez peu d’argent et vécu un week-end extraordinaire alors qu’il n’a pas un sou. Le lundi matin, il arrive dans son nouvel emploi, là on lui donne un ordinateur un peu lent, son supérieur va à peine lui parler, et on ne lui demandera pas ce qu’il pense de sa première journée, ni de la seconde, ni du premier mois…

En fait il a déjà des compétences de vie, de service et d’usages bien supérieures à ce qu’imagine son employeur, alors que celui-ci le fait entrer dans un carcan qui ressemble plus à une administration soviétique qu’aux rêves de nouvelles frontières qu’il chérissait en études.

Est-ce à dire que vu sous l’aspect estudiantin, le monde de l’entreprise est décevant ?

On parle effectivement dans les écoles et les universités d’une disruption de l’économie. Mais dans l’intimité des ascenseurs, des jolis bureaux open space avec des fleurs et des tables de ping-pong, l’on est d’abord frappé par la dimension procédurale, sécuritaire des organisations, et pas du tout par leur esprit d’ouverture. Il faut se préparer à une plongée assez violente dans un univers qui n’est pas à la hauteur de la promesse. Se faire à l’idée que l’on ne trouvera pas dans l’entreprise ce à quoi on aspirait, cela ne se gagne pas facilement, pas tout de suite, et parfois cela n’existe tout simplement pas. Quoi qu’on en dise, le monde des organisations reste plutôt classique. Bien sûr, il y a des Google, Apple, Facebook, mais en pratique, ce sont toutes des sociétés encore très traditionnelles et au fond pourquoi en serait-il autrement ? Elles ont leurs propres rythmes, leurs propres disruptions, et ont mis des années à se structurer, couvrir les marchés mondiaux, se digitaliser. Elles ne sont pas toujours, ou pas encore, adaptées aux rêves des jeunes diplômés. Il se forme ainsi un gap entre le désir des jeunes d’intégrer un monde moderne et celui concret des entreprises de les attirer. Les deux ont le même désir, mais ils ne parlent pas la même langue.

Dès lors, comment se préparer à cette rude transition ?

Le conseil numéro un que je prodiguerais, c’est d’être patient : la découverte en profondeur du fonctionnement des organisations prend du temps et n’est pas glamour. Et aussi de ne pas juger trop vite, donner une chance à ce que vous allez voir et si un bout d’un moment vous ne « sentez pas le truc », il sera toujours temps de décider d’une réorientation. Il ne sert à rien de se précipiter dans l’espoir de trouver l’appartement témoin de la disruption digitale appliquée aux organisations, soyez patient — ce qui n’est pas le propre de la génération Y — et gardez un peu d’indulgence, sans perdre vos espoirs ou vos rêves. Les entreprises sont actuellement focalisées sur l’expérience client, elles ne sont pas mures pour l’expérience collaborateur et ne prévoient pas de processus d’embarquement sexy. Prenez le temps d’aller au contact des personnes qui travaillent dans ces organisations pour y trouver le sel. Selon les équipes et les projets auquels vous aller participer, il se passera quelque chose proche de : « j’ai échoué ou réussi à collaborer avec une équipe, j’ai mené tel projet, j’ai découvert telle et telle complexité, je l’ai dépassée ou non, j’ai acquis telle expérience, etc ». C’est ce que l’on appelle le test and learn, dont tout le monde parle, mais que peu pratiquent. C’est pourtant la meilleure attitude par rapport au changement, autrement dit être capable de réaliser ensemble une transformation des habitudes, d’échouer, puis de réussir en se disant : « ça, j’ai appris à le faire ». Croyez en vos aptitudes et vous trouverez une forme d’équilibre chemin faisant.

Quels conseils donneriez-vous à un fringant entrepreneur en herbe ?

Si j’avais un conseil propre à mon expérience, ce serait de ne pas oublier les roues du véhicule. Je m’explique : au départ, les jeunes start-uppers construisent une sorte de véhicule qui transporte leurs rêves ou leurs idéaux de progrès et les aide à envisager un monde meilleur comme apporter de l’électricité en Inde, concevoir des fours qui ne polluent pas l’intérieur des maisons, etc. Mais ils en oublient quelques fois les roues, c’est-à-dire les hommes et les femmes qui vont porter le projet concrètement sur le terrain. Ils sont accros de leurs apps, obsédés à soigner l’expérience client, le buzz sur les réseaux sociaux, le business model, etc. Tout se transforme en écran de smartphones ou de tablettes et s’exprime en 140 caractères. Mais pour cela ils ne réalisent pas toujours qu’il faut attirer du personnel pour écrire les codes, établir une distribution solide des services, être présent sur des foires ou des salons, etc. Surtout ne pas sous-estimer la dimension humaine des projets collectifs, y compris les plus modernes, ni la grande complexité à trouver puis à conserver des collaborateurs de talent. Parfois, ils n’ont pas assez de temps, ni de compétences, ni le style qui va fédérer des hommes et des femmes. C’est dans ce type de domaine qu’il me semble utile de pouvoir être conseillé par des tiers expérimentés. La clé de toute organisation humaine réside dans le fait de se sentir porté, enthousiasmé, exalté par une finalité, un rêve, une idée. L’émotion en est la condition sine qua non. Au quotidien, combien de jeunes, y compris successful m’ont déclaré : « je ne m’intéresse pas beaucoup à l’interne. Cela me paraît une grave erreur. On peut fabriquer des concepts géniaux, les valoriser, aller trouver de l’argent, si l’on n’est pas capable de faire un récit à l’interne et de devenir ainsi le leader de ce récit — et pas simplement le leader du récit de l’expérience client­ — alors il va manquer une dimension très importante au projet et les talents ne résisteront peut-être pas aux offres concurrentes. Peut-être que dans quelques années nous ne travaillerons qu’avec des robots, mais je ne fais pas partie de ceux qui y croient, je pense au contraire que l’émotion du client ou des usagers, l’émotion en général, entrera toujours plus dans les organisations. La lutte qui s’installe entre travail humain et activité robotique doit être compensée par cette notion d’émotion dont nous sommes seuls pourvus actuellement.

Et quelles recos donner au niveau de la gestion managériale ?

Aujourd’hui, à chaque entreprise son message, son récit et sa motivation. Le personnel est extrêmement vigilant à l’intérieur d’une société à ne pas se faire promener. Avant, il y avait un silence bienveillant devant la lacune managériale, on disait “c’est comme ça” et agissait comme si l’on n’avait rien vu. Si son chef était bizarre, trop autoritaire, quelquefois manipulateur, on faisait comme si ce n’était pas très grave, c’est de moins en moins le cas désormais. L’une des vertus de la génération Y, est de ne pas aimer se faire manipuler. Cacher sa copie, communiquer des informations différentes à différents publics est devenu très difficile. Lorsque vous vous adressez aux journalistes, le soir même tous les gens à l’intérieur de l’entreprise en parlent, et vice-versa. Certains dirigeants pérorent que les hommes et les femmes sont le facteur clé de leur organisation, mais n’en ont cure concrètement. Les jeunes ne veulent plus se faire manipuler ou que l’on abuse de leur confiance. Et ce qui bloque dans une société n’est jamais identique à ce qui bloque chez une autre, contrairement à ce que l’on pensait auparavant, où on imaginait qu’il y avait des méthodes, des benchmarks. Je suis l’anti-benchmark. Le blocage peut être si différent : un problème de management, de style, de leadership, d’incompréhension, de défaut de vision stratégique, de likage par ceux qui composent l’organisation, ce qui provoque un manque d’engagement.

Enfin, quel conseil donner aux jeunes pour augmenter leur crédibilité ?

Le phénomène le plus inquiétant est le trou culturel dans l’ozone de nos cerveaux. La carence culturelle actuelle est une vraie catastrophe. Si nous ne sommes pas plus cultivés qu’un robot, alors nous sommes en danger de disparition, et pas seulement au niveau de l’entreprise. Plus nous nous déculturons, plus nous oublions d’apprendre l’histoire des idées, et même l’histoire tout court ; plus nous perdons notre mémoire d’humain. En restant scotchés à des jeux, des écrans, des vidéos, des séries, nous nous robotisons. D’un côté, nous avons les robots qui augmentent leur intelligence : l’IA, et de l’autre, la BNA, la bêtise non artificielle, celle des hommes qui s’amplifie aussi. À un moment donné, les courbes vont se croiser et ce ne sera pas à notre avantage. Notre seul espoir : sortir un peu de la mémoire immédiate ambiante et cultiver notre profondeur culturelle, notre “épaisseur humaine”, et s’intéresser à la fabrication des idées. Si nous ne nous en occupons pas, il ne faudra pas s’étonner que nous réagissions, ou soyons traités, comme des robots. Nous sommes en risque de défaut de résonance avec la planète, les humains sans leur humanité ne sont pas grand chose. J’aurai donc ce cri d’alarme envers les jeunes : saisissez-vous de votre passé et de sa compréhension, de la lecture de ce monde qui nous a précédé au risque de ne pas attraper les virages qui s’annoncent. Ne désinvestissez pas le passé, apprenez, plongez-vous dans la mémoire, il y a des tas d’histoires qui vous ressemblent, cherchez à différencier votre passage sur terre, à comprendre ce que vous faites là. Tant que vous n’avez pas trouvé ce que vous faites individuellement au service des autres, votre travail n’est pas fini.

Et l’émotion dans tout ça ?

Le facteur humain intègre à la fois la psychologie, les émotions, l’interpersonnalité et les dimensions interculturelles. À ne former que des utilitaires et passer un temps fou à l’expérience client avec des scores, des index, la dimension humaine tend à disparaître. Or c’est notre principale différence avec les robots. Pourquoi s’engage-t-on à faire une tâche ? Pourquoi les humains ont-ils une pulsion de compréhension du monde, d’intelligence ? Pourquoi ont-ils des postures bienveillantes, l’envie de faire le bien, de donner ? Pas simplement le don charitable ou oblatif, mais ce que l’on pourrait appeler le don cérémonial. Pourquoi des gens pratiquent-ils encore cet espèce de rituel qui consiste à donner quelque chose à quelqu’un qui ne vous a rien demandé, sans rien attendre en retour ? La réponse à ces questions n’est pas évidente et constitue le mystère de l’engagement à vivre ensemble alors qu’il est déjà compliqué de vivre avec soi-même.

Dépêchons-nous de retrouver ce qui fait de nous des humains.

Propos recueillis par Illyria Pfyffer

Photo : Medium

Vous pouvez retrouver la conférence de Pierre Hurstel lors du CREA Digital Day 2016 ici

Pierre Hurstel tel qu’en lui-même

Pierre Hurstel a passé 32 ans chez EY (Ernst & Young). Auditeur financier, il commence par contrôler des entreprises, en particulier du secteur bancaire, avant de s’intéresser à l’innovation et au facteur humain. Peu à peu, il devient RH d’une business unit à Paris, puis DRH pour la France, l’Europe du Sud et enfin du monde entier, accédant ainsi à la plus haute fonction DRH du groupe qui compte 145 000 collaborateurs. En 2012, il s’interroge : est-ce que je m’épanouis en restant auditeur ? Et si je faisais autre chose que ma vie dorée dans un grand groupe ? À la manière d’un tsunami, il pressent le bouleversement digital et sociétal dans le monde des organisations, sans parvenir à le nommer : cet étrange mouvement qui consistait à voir des sociétés patiner sur leur modèle, une demande des consommateurs différente, un changement des technologies, je l’ai vu arriver dans les années 2010, mais je ne savais pas ce que c’était, mais je me suis dit : je veux être là quand l’eau va revenir pour chevaucher les océans. J’ai donc quitté cette entreprise à laquelle j’étais attaché plus que tout et monté ce projet qui est devenu “Matière à réflexion”, mon cabinet de conseils. Aujourd’hui, Pierre Hurstel se met au service des dirigeants pour leur permettre de lire le réel, interpréter le changement, et expliquer à l’entreprise ce qu’elle peut améliorer. Son expérience de l’audit et des RH lui donne à la fois une lecture fine des business models de même qu’une exceptionnelle compréhension de l’humain. Il travaille pour de grands groupes français et, outre ses activités de conférencier, écrit notamment pour La Tribune.fr. Il est également président de l’association Toulouse Business School Alumni et de la fondation éponyme.

Bibliographie : L’Entreprise Réparatrice, Éditions Maxima

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