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Evolution du luxe : regard d’expert.

Du luxe moderne au luxe contemporain : la fin de l’Eldorado ?

Rencontre avec Alexandre de Sainte Marie, Directeur Général du pôle Arts de la Table du groupe Hermès de 1996 à 2004. Aujourd’hui consultant indépendant, il accompagne plusieurs marques de luxe dans leurs enjeux de stratégie de différenciation et de création de valeur, et intervient régulièrement à CREA. Il est l’auteur de « Luxe et marque » publié en 2015 chez Dunod.

Qu’entend-on par la fin de l’Eldorado du luxe moderne ?

Le luxe moderne c’est le luxe qui se déploie des années 1990 jusqu’à la fin des années 2000. Un luxe qui connaît une formidable démocratisation, favorisée par l’arrivée d’investisseurs financiers qui souvent rachètent des sociétés familiales encore peu implantées à l’international. C’est aussi un luxe dont la consommation est dominée par son caractère ostentatoire : les produits de luxe sont essentiellement achetés pour montrer son statut social, sa réussite financière, être exhibés comme autant de signes extérieurs de richesse. Ce sont les années glorieuses du luxe, celles d’un marché international qui connaît des taux de croissance annuelle à deux chiffres, des années de nouveaux produits aux logos extrêmement visibles, des années où une clientèle chinoise en cours d’acculturation fait flirter le luxe avec le bling-bling… Tout cela est remis en cause avec la crise de 2007 – 2008.

D’où ce passage au luxe contemporain. Pourquoi dater ce passage si précisément en 2007 – 2008 ?

Parce que la crise nord-américaine des subprimes de 2007 – 2008, en se transformant en une crise économique planétaire, va modifier en profondeur les comportements d’achat, les rêves et les attentes des clientèles du luxe vis-à-vis des marques. Et aussi parce que cette période est celle de l’usage exponentiel des réseaux sociaux, lesquels favorisent une accessibilité des marques de luxe jusque là inenvisageable.

Après 2007 – 2008, le luxe entre alors dans une nouvelle période. Plus rien ne sera jamais comme avant.

Cette nouvelle période, comment la caractériser ?

À mon avis par quatre facteurs principaux :

  1. Un contexte géopolitique mondial incertain, mouvant et instable, dans lequel une crise paraît chasser la précédente, et où jamais les inégalités sociales et de revenus n’ont été aussi fortes.
  2. La nouvelle multipolarité du marché du luxe, à la suite de cette formidable expansion internationale conduite par les marques. Le luxe ne touche plus seulement les États-Unis, l’Europe de l’Ouest et les 5 marchés asiatiques historiques (Japon, Hong Kong, Corée Singapour et Taïwan), mais aussi l’Amérique du Sud, l’Europe de l’Est, le Qatar et les Émirats arabes unis, l’Inde, la Chine continentale… Et cela avant d’investiguer demain l’Asie du Sud-Est et les pays de l’Afrique subsaharienne !
  3. Les impacts de cette transformation digitale qui révolutionne la conception et la réalisation des produits, mais aussi l’expérience de marque vécue par la clientèle dans les boutiques, le développement de nouveaux parcours d’achat combinant site e-commerce et points de vente physiques et enfin les stratégies de communication et publicitaire des marques ;
  4. Dernier marqueur, peut être le plus spectaculaire : le renouvellement générationnel, avec des générations Y et Z dont les systèmes de valeurs, les goûts et les attentes sont en rupture par rapport à ceux des générations les ayant précédées sur le marché.

Comment définir alors la consommation de ces années du luxe contemporain ?

C’est une consommation auto centrée, intimiste, individualiste, pour soi ; une consommation qui n’est plus guidée par des préoccupations statutaires et qui a pour fonction l’expression de sa propre personnalité. Non plus se conformer à un modèle ou répondre à une quelconque injonction sociale, mais être soi : cet objet de luxe doit avoir du sens pour moi, je dois me reconnaître dans les valeurs portées par la marque et y adhérer. Et la marque doit aussi me donner des preuves de son authenticité et de son exclusivité. Sinon, je me détourne…

J’imagine que les Chinois revêtent une importance primordiale pendant ces années de luxe contemporain ?

Oui ils représentent déjà 30 % de la totalité des achats de produits de luxe et, surtout, ils constitueront la très grande majorité des nouveaux clients du luxe d’ici 2020/2025. Le barycentre du marché international s’est inexorablement déplacé vers l’Asie, activé par de jeunes Chinoises et Chinois qui révèlent de nouveaux comportements, à commencer par une pratique intensive des réseaux sociaux : ils sont en permanence sur Weibo et WeChat, dont les fonctionnalités sont beaucoup plus développées que celles des plateformes européennes. Leur addiction oblige d’ailleurs les marques de luxe européennes à y ouvrir des comptes officiels sous peine de disparaître de la « bataille de l’attention ».

N’assiste -t- on pas aussi à la montée de nouvelles sensibilités d’ordre moral et éthique, en particulier d’abord sur les marchés matures du luxe ?

C’est certain. Stella McCartney bannit le cuir de ses collections de maroquinerie ; Alessandro Michele et Marco Bizzarri déclarent qu’ils vont interdire la fourrure pour les futures collections Gucci ; Tiffany aux États-Unis interpelle le président Trump dans le New York Times en lui demandant de ne pas dénoncer l’accord de Paris sur le climat : ce sont autant de réponses apportées par les marques de luxe aux nouvelles préoccupations qui se font jour chez leur clientèle. Il me semble que cette dernière élargit son champ d’intérêt et d’interactions avec la marque de luxe pour atteindre non seulement l’objet, mais aussi les services et l’univers déployés par la marque autour de ses objets, jusqu’aux expériences de luxe proposées à l’intérieur de son univers de marque : découvertes « clés en main », moments inoubliables, rencontres improbables avec artisans, maîtres de chais, etc. Un exemple ? Clos 19, la récente initiative digitale prise par Moët Hennessy pour mettre à l’honneur ses différentes marques de champagnes, spiritueux et cognac via la proposition de voyages et séjours d’exception.

C’est cette nouvelle complexité qui vous amène à plaider en faveur d’une révision des stratégies conduites par les marques de luxe ?

À nouveaux enjeux, nouvelles stratégies. La marque affronte un défi inédit : celui de devoir séduire individuellement chaque client. Le niveau d’exigence n’a jamais été aussi élevé. Développer de nouvelles collections avec une très forte valeur ajoutée créative est toujours aussi décisif pour un succès durable. Mais cela ne suffit plus. Il faut que la marque de luxe contemporaine sache affirmer des valeurs sociales, sociétales et culturelles ; qu’elle se conduise en tant qu’expression artistique et esthétique.

Cela implique de s’adresser à cette nouvelle clientèle sur Internet et les réseaux sociaux en fonction de ce qui l’intéresse elle (et non plus en fonction des seuls centres d’intérêt de la marque).

Alors que nous sommes de plain-pied dans l’ère digitale du retail, cela appelle aussi une redéfinition du rôle des boutiques physiques. Elles cessent d’être indispensables pour l’achat d’un objet ou d’un service de luxe : sous la pression du e-commerce, il leur faut évoluer et passer d’un statut de point de vente à celui, bien plus complexe, de lieu privilégié de l’expérience de la marque de luxe.

Imaginons que je sois une marque de luxe qui a connu un grand succès jusqu’ici. Ayant le sentiment de devoir réaliser des adaptations stratégiques si je veux continuer à être pertinente aux yeux de mes nouvelles clientèles, quelles seraient concrètement, vos 3 recommandations ?

La première, en forme de maxime : « Connais-toi toi-même ». Aujourd’hui l’objet de luxe ne suffit plus. Pour assurer le succès, il vous faut construire une stratégie de différenciation complète, laquelle vous permettra d’être reconnu comme unique et exclusif par votre clientèle, cela grâce à la sublimation des éléments les plus distinctifs de votre identité de marque.

La seconde serait d’accorder l’attention nécessaire au caractère multipolaire du marché international. Votre marque devrait être aussi locale que possible pour s’intéresser de manière authentique d’abord à des personnes (en espérant qu’elles deviennent ensuite des clients !). Dans chaque pays cela passe par une réelle sensibilité à la langue, la culture, l’environnement social, sociétal, religieux, etc.  Il vous faudra adapter votre communication, vos messages, etc. pour tenir compte des contextes locaux de ces différents pays. L’idéal ? Que votre marque soit à la fois italienne quand elle parle depuis Milan, japonaise quand elle s’exprime à Tokyo et nord-américaine quand elle prend une initiative à San Francisco.

La dernière recommandation serait de trouver LE point naturel d’équilibre entre vos activités digitales et celles conduites dans le monde réel. Privilégiez la cohérence de l’ensemble. Reconsidérez toute organisation en silos. Supprimez les clivages qui freinent la libre circulation de votre clientèle entre les deux expériences de la marque vécues l’une sur Internet et l’autre dans le monde réel de votre réseau de boutiques, au contact de vos ambassadeurs. Investissez dans la création de synergies entre ces deux expériences. Que chacune contribue à une expérience globale de votre marque qui soit vraiment exceptionnelle. Placez la Data au service de la création de valeur pour vos clients, et Internet au service du luxe (et non le contraire !). Ne tombez pas dans les pièges d’une digitalisation excessive de vos points de vente. Gardez l’émotion et l’humain en fil rouge, sachez jouer, prendre des risques et, vous verrez, je suis sûr que l’avenir vous sera favorable ! Pour conclure je citerais volontiers Jean Cocteau via un conseil extrait de son recueil « Le Potomak » : « Ce que le public te reproche, cultive-le, c’est toi ». Une belle invitation à la différenciation…

 

Alexandre de Sainte Marie, dirigeant de NEAPOLIS, agence de conseils en stratégie et identité de marque.
Auteur de « Luxe et marque – Identité, stratégie, perspectives », Dunod, 2015.

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