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A # STORY: #IHAVETHISTHING WITHFLOORS

Guillaume Leroux

Par Guillaume Leroux

Publié le 

Archives 5 mins

ihavethisthingwithfloors_instagram

Instagram nous rend fétichistes. C’était prévisible.

La toute première photo de l’histoire de la plateforme, postée en juillet 2012 sur une version encore bêta, mettait en scène… un pied. Depuis, marques, média, célébrités, influenceurs et particuliers cherchent tous à prendre leur pied sur la plateforme. Prenons-les au mot et intéressons-nous de plus près à leurs pieds ainsi mis en scène.

Comme beaucoup de belles histoires, celle-ci a commencé dans un bar.

Un bar d’Amsterdam. Trois amis néerlandais qui, selon leur légende, ont spontanément et communément posté une photo du sol de ce bar sur leurs comptes Instagram respectifs. On peut ensuite imaginer nos amis bataves trinquer avec leur bière à ce fruit du hasard, qui vient non seulement prouver leur amitié, mais aussi leur sens de l’anticipation. Nous sommes en juin 2014 et le compte @Ihavethisthingswithfloors est lancé. Quatre ans plus tard, il totalise 846K followers, et le hashtag associé réunit presque 700K mentions.

D’abord repérée et réutilisée par des blogueurs, la vague #Ihavethisthingwithfloors prend véritablement de l’ampleur en janvier 2015 lorsque l’actrice Reese Witherspoon se met à jouer le jeu à son tour.

instagram-hashtag-floor

Le compte fait alors un bond de 30’000 followers en 24 heures. Il décolle, mais les pieds, eux, restent sur terre.

Floors and shoes?! semblait s’interroger Reese. Certes, le footwear est inhérent à la grammaire d’#Ihavethisthingwithfloors – les chaussures incarnant le I – mais il faut rester terre-à-terre : la vraie star, c’est le sol. Si vous souhaitez promouvoir votre dernière paire de pompes, faites un #selfeet et n’en parlons plus.

Vous imaginez @desserted_in_paris sur un pavage aussi coloré que ses mocassins, ou debout sur une fresque plus alambiquée que ses pâtisseries ? Non. Trop de messages tuent le message.

instagram_floors_art

Dans #Ihavethisthingwithfloors, le sol est le message, à la fois mood of the day (des motifs tortueux pour les esprits torturés), quote of the day (lire plus bas) et place to be (géolocalisation toujours activée). Ce qui est encore mieux, c’est lorsqu’il devient message ET médium.

Pour annoncer sa réouverture, l’hôtel Le Crillon avait créé son jeu de piste dans Paris autour de tags #10iscoming à même le sol.

hashtag_10iscoming

10 pour l’adresse iconique du palace parisien au 10 place de la Concorde, elle-même estampillée d’un parvis iconique. Quoi de mieux que la rue pour s’offrir une street-credibility ? Les trottoirs des grandes métropoles sont déjà devenus la tribune des groupes de musique indépendants pour annoncer leurs dernières productions.

instagram_ihavethingwithfloors

Plutôt que de faire lever au ciel les yeux de votre audience, sur des 4 par 3 ou autre billboards coûteux, pourquoi donc ne pas inscrire votre message là, jusque sous leurs pieds ? Dans le même champ de vision que leur écran.

D’après une étude de l’INRS, l’Institut National de Recherche et de Sécurité, notre morphologie humaine est lentement mais sûrement transformée par l’usage des smartphones. Trop d’assiduité peut aller jusqu’à incliner la colonne vertébrale à 60 degrés, et consulter un téléphone portable reviendrait à subir un poids de 27 kg sur le cou. Anticipons et facilitons la lecture en visant les pieds de tous ces futurs voûtés.

#Ihavethisthingwithfloor est sans doute la grammaire sociale la plus effortless. Simple à lire, simple à produire et simple à reproduire : une photo carrée de ses deux pieds joints posés sur le sol, ce dernier étant idéalement carrelé et coloré. Un langage universel repris aux quatre coins du monde et dont le feed forme aujourd’hui une mosaïque en forme de marelle géante, ou de damier farfelu de jeu de société. Sauf que d’une case à l’autre, a-t-on vraiment le sentiment de voyager ?

floors_art_hashtag

#Ihavethisthingwithfloors illustre et contribue à ce que le journaliste Kyle Chayka baptise l’Airspace. En substance, il évoque une « étrange géographie générée par la technologie », et qui « diffuse une même esthétique stérile ». Le nom s’inspire de la plateforme Airbnb sur laquelle les logements se ressemblent de plus en plus. Les mêmes bars surélevés entre la cuisine et le salon ; les mêmes plantes vertes grasses à côté des mêmes sofas dans l’une des cinquante nuances de gris disponible. Et bien sûr, les mêmes sols.

Les logeurs qui veulent être choisis recréent ce qu’ils imaginent que les voyageurs vont aimer. Viens chez moi, j’habite chez les autres. L’Airspace, c’est comme le concours de beauté de Keynes : chacun pense que les autres pensent que les autres pensent, ad infinitum.

Les espaces deviennent Airbnbables et Instagrammables du plafond au sol. Désormais, il faut anticiper la surface plain-pied d’un 200 mètres carrés avec les motifs ou les textes qui peuvent tenir dans un carré de 1080 par 1080 pixels. Souvenez-vous de ce restaurant qui introduisait une assiette recourbée spécialement conçue pour les amateurs de #foodporn.

Toutefois, si vous n’êtes pas fétichiste des sols, Instagram regorge d’autres addictions pour vous.

Le Rose —#Ihavethisthingwithpink, 260K mentions; les murs —#Ihavethisthingwithwalls, 171K mentions; les vélos – #Ihavethisthingwithbikes, 90K mentions… ou encore les jardins d’intérieur, la forme du cœur, les portes et les fenêtres, les ombres et les clefs… #Ihavethisthingwith______ est le préfixe des obsessionnels, et une ode à l’UGC. Pensez-y pour le prochain packshot de votre objet fétiche.

Photo : Blog Lovin’ / From Moon to Moon

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