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Une intelligence inégalée source d’inégalités

Ecouter Laurent Alexandre une fois dans sa vie est une expérience quasi mystique. Chez CREA, nous le suivons depuis plusieurs années avec fascination.

Sans tabous, sans langue de bois et parfois avec un brin de Darwinisme, cet extra-lucide sur les bouleversements liés à l’Intelligence Artificielle, et plus généralement aux nouvelles technologies, nous sort de la torpeur européenne ambiante où nous nous végétons et nous met face à la réalité de la donne internationale, américaine et chinoise avant tout. À la manière d’un Incal, bien loin des discours lénifiants ou affligeants, il jette un regard acide et franc sur l’avenir qui nous attend au coin de la figure.  Résumé-fleuve d’une conférence donnée par Laurent Alexandre à des étudiants en juin dernier au Campus Inseec Lyon. 

Quid de l’Europe dans la course à l’IA ?

Dans la bataille pour l’IA, les forces en présence sont les États-Unis et la Chine. L’Europe est devenue tout doucement une « colonie numérique » des GAFAM. Total n’a-t-il pas confié son exploitation pétrolière à Google le mois dernier ? Et Carrefour passé un deal avec Tencent en Asie et avec Google en Europe tout récemment ? Thalès a annoncé réaliser un cloud sécurisé pour l’armée française, en réalité c’est avec l’aide de Microsoft… Notre dépendance et notre fragilité face aux géants du numérique demeure extrêmement forte. Entre l’axe Washington/GAFAM et Pékin/BATX nous sommes des enfants de chœur, en voie de vassalisation technologique. Cette énorme concentration à l’échelle mondiale de la richesse, des technologies NBIC, des fintech, des cerveaux, des entreprises les plus rentables au sein de quelques métropoles est inquiétante. Nous faisons un grand bond en arrière de 1000 ans, nous sommes en train de créer une augmentation des inégalités comme nous n’avons pas eu depuis 1000 ans. Nous risquons aussi le retour de la violence politique, issue de ces inégalités créées par ce monde où vous allez être, soit des seigneurs, soit des personnes en situation de précarité croissante, surtout après l’arrivée de robots dotés d’IA dans 20 ans.

Comment dès lors résister aux géants du numérique oligopolistiques ?

L’IA encapsule le savoir et les meilleurs cerveaux du monde. Cette industrie provoque actuellement une concurrence mondiale pour attirer les meilleurs. Savez-vous combien sont payés les très bons spécialistes d’IA dans les GAFAM ? À 10’000 euros près ?

Réponse : 2 millions par mois!

Récemment un des patrons de la recherche en France a dit « Nous embauchons des chercheurs Bac+11 en IA à moins de 3000 euros par mois. » Si elle reste sur ce trend, l’Europe n’a plus aucune chance, les entreprises de demain vont être soumises à une course de vitesse, à des risques nouveaux, les GAFAM pourraient nous transformer en proie assez rapidement. Comment assumer ce mercato mondial des cerveaux qui promet d’être terrible ? Les petits entrepreneurs qui ne pourront pas se payer des informaticiens risquent d’être laminés. Le paysage actuel ressemble un peu aux géants qui guettent les petites proies, soit pour les racheter ce qui est un moindre mal, soit pour les dépecer.

Aujourd’hui, on estime qu’il va manquer 85 millions d’employés ultra-qualifies au niveau mondial. Dans 15-20 ans vous allez vous battre dans vos entreprises et dans vos start-up pour avoir des travailleurs qualifiés. Face à cette pénurie mondiale, les entreprises chinoises ultra-riches vont faire comme les GAFAM, et faire leur marché en Europe, notamment dans les instituts de recherche français puisque nous payons nos chercheurs au lance-pierre.

L’hyper-régulation, une solution ?

L’entreprise de demain sera plus politique et très régulée, contrairement à ce que l’on pense. L’économie va devenir toujours plus touchée par des implications géopolitiques et philosophiques. Nous allons même devoir gérer l’hyper régulation parce qu’à hyper technologie, hyper régulation. Les drones en particulier seront hyper réglementés. N’oubliez pas qu’on a démontré que dans un petit drone, on peut mettre 3 grammes de Semtex, cet explosif tchécoslovaque qui fait exploser les avions. Les États ne vont donc pas laisser les gens faire de l’IA dans leurs caves, de la biologie de synthèse dans leurs cuisines, etc. La régulation sera fondamentale et constamment en augmentation.

On se trouve également confronté à une autre difficulté : certains sont persuadés aujourd’hui pouvoir donner une bonne éthique à l’IA. On oublie juste que notre éthique change sans arrêt. D’abord les systèmes très complexes comme le deep learning sont très difficiles à auditer, et deuxièmement d’un point de vue moral et éthique, on agit comme si les normes morales et éthiques étaient universelles. Entre la morale de Daech et la morale européenne, il y a un certain décalage, tout comme entre la morale d’aujourd’hui et celle d’hier. Ces différences très fortes posent la question de quelle éthique donner à l’IA ? L’équilibre entre la mesure (l’hybris) et la démesure (némésis) risque d’être compliqué. Beaucoup envisagent un futur dystopique où la révolution menace. Alors politiquement, si on veut éviter une révolution à la 1794, il va falloir réduire les inégalités intellectuelles et imaginer une vraie neurorévolution.

Comment décrire cette révolution de l’IA ?

Nous faisons face à des GPT (General Purpose Technologies), autrement dit à des technologies excessivement violentes qui changent non seulement la technologie, mais l’économie toute entière. Nous avons connu plusieurs vagues technologiques ayant des implications fortes : la vapeur, l’électricité, l’électronique et aujourd’hui l’IA. L’IA est particulièrement violente parce qu’en plus, elle permet en neuro-technologie dans le domaine génétique, des bouleversements qui changent notre identité même. Il est plus bouleversant de changer le cerveau de nos bébés ou de réaliser un bébé à la carte modifié génétiquement, que de construire un TGV plus ou moins rapide.

La vague technologique actuelle est particulièrement bouleversante sur le plan moral.

L’IA va bouleverser la vie des individus et créer un monde complexe, la vie des entreprises et des nations sera marquée par l’imprévisibilité et la gestion des inégalités. Les gens non diplômés sont en train de couler dans nos pays, on ne peut pas les abandonner. Au niveau des individus on voit bien que même le patron de Google a dit récemment qu’il n’était pas du tout certain que les êtres humains seront enchantés de voir l’IA galoper aussi vite. À l’échelle des entreprises, avec l’augmentation de l’imprévisibilité, l’avènement de l’économie de plateformes (Uber, AirBnb, etc.), l’envol des technologies exponentielles, etc. le cœur de l’activité sera de gérer les interfaces avec l’IA et toutes les technologies qui en découlent. Seulement ce monde-là est assez oligopolistique, les GAFAM n’ont pas de concurrence, c’est pour cela qu’elles gagnent de l’argent. Nous nous trouvons aujourd’hui dans un brouillard numérique avec une augmentation exponentielle du risque, le bêta. Qui aurait dit que Kodak ou Nokia allaient s’effondrer ? Qui aurait imaginé le jour où Netflix est né, qu’il vaudrait 75 fois plus que TF1, la première chaine de TV en Europe. TF1 vaut seulement 2 milliards, un paquet de cacahuètes pour Netflix. Pour ceux qui aiment les scénarios utopistes, je vous invite à visionner la conférence de presse qu’a donné le patron de Netflix. Il y indique que vendre des fichiers mp4 n’est pas son business model futur. Ce qu’il souhaite c’est fournir aux spectateurs une pilule qui leur fera vivre le film, comme dans Total Recall. Piloter la frontière entre l’IA et l’IB, organiser la synergie, voilà donc où se situent les meilleures opportunités professionnelles, et les plus rémunératrices !

Ce qui vous fascine le plus dans l’IA ?

L’un des phénomènes les plus incroyables, que personne n’aurait imaginé, c’est qu’en 10 ans nous avons tous un deuxième métier en plus de notre activité officielle. En plus de notre activité professionnelle « normale » et rémunérée, nous travaillons en effet gratuitement 5 heures par jour… pour éduquer l’IA des géants numériques ! Nous travaillons chaque jour depuis l’enfance, des heures durant, pour éduquer les intelligences artificielles des géants du numérique, en leur fournissant des photos, des éléments sur notre personnalité, notre consommation, etc. C’est un changement radical. Dans l’économie mondiale, il n’y a pas des milliards d’individus qui sont d’accord de travailler jour et nuit pour enrichir un business dont ils ne connaissent pas grand-chose et dont ils ne tirent aucun bénéfice. Les milliards d’idiots utiles que nous sommes œuvrons pourtant gratuitement pour enrichir les GAFAM. Ceci représente une concurrence déloyale.

À l’échelle de l’humanité toute entière, je suis fasciné par cette volonté ambiante de créer un homo deus comme le décrit Yuval Harari, doté de pouvoirs démiurgiques. Ce concept se développe par la volonté de la Silicon Valley, de la Chine, de développer l’exploration du cosmos, de fusionner nos cerveaux et l’IA, de développer le bébé à la carte. Le Times expliquait que « la mort de la mort » pouvait arriver dès 2045. Elon Musk et Neuralink nous expliquent qu’il est urgent de mettre des puces dans nos cerveaux pour que les robots ne nous transforment pas en domestiques…

Votre essai de futurologie sur l’avenir de l’IA ?

Il faut avoir un peu de modestie, les futurologues disent n’importe quoi. L’incertitude est le maître-mot des années à venir. Entre le développement de l’IA et la prise de décision qui s’effectue toujours plus rapidement, l’incertitude économique va devenir la règle. Comment la société va-t-elle réagir aux enjeux de ces technologiques démiurgiques qui impacteront massivement le business, là est la question ! On est toujours plus intelligent après… Je n’aurai pas la cruauté de revenir sur le papier du New York Times de 1997* qui expliquait que l’ordinateur ne serait pas capable de battre l’homme au jeu de go avant 100 à 200 ans, alors qu’il a été battu à plates coutures en 2016 déjà. On ne sait pas comment la société va réagir face à des technologies aussi bouleversantes qui impactent aussi fortement le business. Pensez aux grandes chaines Walmart. Carrefour et autres qui imaginaient qu’Amazon à ses débuts mettrait rapidement la clé sous la porte… Aujourd’hui Amazon est un géant et son entrée dans le domaine spatial, totalement imprévisible, en perturbe plus d’un. Ainsi Stéphane Israël, PDG d’Arianespace me disait récemment : « Rien ne garantit qu’Ariane sera encore vivante la décennie prochaine ». L’IA n’arrive pas sur une plage vide, elle arrive sur 1000 ans d’histoire, ce qui est, là encore, une source d’imprévisibilité.

*“It may be a hundred years before a computer beats humans at Go – maybe even longer,” said Dr. Piet Hut, an astrophysicist at the Institute for Advanced Study in Princeton, N.J., and a fan of the game. “If a reasonably intelligent person learned to play Go, in a few months he could beat all existing computer programs. You don’t have to be a Kasparov.“ (Source : NYT 1997)

Propos recueillis par Illyria Pfyffer

À lire absolument : LA GUERRE DES INTELLIGENCES par Laurent Alexandre. Editions JC Lattès

Vous pouvez également retrouver ci-dessous la conférence de Laurent Alexandre lors du CREA Digital Day 2017

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