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EN QUÊTE DU SENS AU TRAVAIL

Julia de Funès a offert devant un parterre fourni à l’Auditorium Charles Pictet une conférence passionnante sur le thème : Le monde du travail : comment se projeter ? Une occasion rare d’aborder l’activité professionnelle sur un plan philosophique, en décryptant notamment les normes comportementales qui influencent notre mindset. Morceaux choisis.

Julia de Funès Conférence

Les crises nous questionnent

La philosophie ne prétend pas déterminer le VRAI, mais recherche le SENS.

Dans cette perspective, les crises figurent des opportunités de réflexion sur le sens de nos actions. L’on pourrait comparer l’esprit à un sport : il lui faut des contraintes pour évoluer. Lorsque la réalité change, comme en temps de crise, ce sont des occasions de réfléchir, d’inciter l’esprit à se questionner. De la même manière, le confinement a obligé les entreprises à innover, à modifier leurs fonctionnements en profondeur.

QUELQUES DYSFONCTIONNEMENTS DANS LE MONDE DU TRAVAIL

L’omniprésence de la peur de la procédure

Encore faut-il être dans un état d’esprit qui cherche à évoluer, parce qu’aujourd’hui nous avons peur d’à peu près tout. Pendant des siècles, ce sont les enfants qui ont eu peur. Saint-Exupéry dans Le Petit Prince ne disait-il pas : Qu’est-ce un adulte ? C’est un humain qui n’a plus peur. Aujourd’hui, les adultes ressentent de nouveau cette peur. Les médias nous transmettent d’ailleurs largement cette angoisse. A contrario, les philosophes ont toujours déconsidéré la peur, car elle altère les représentations et fausse les jugements.

Aujourd’hui, le moindre risque est à bannir, ce qui annihile l’action. À cette fin, on légifère de plus en plus, nous enclenchons une logique très procédurale, on « procédurise » à tout va, y compris au niveau des normes langagières ou managériales, l’on se sent même obligé de le faire. Même si le poison est dans la dose, pas dans la chose, on tombe vite dans l’absurde, la procédure devenant la priorité absolue…

Tous des managers

Lorsque vous êtes bon techniquement dans votre domaine, il est très fréquent que vous deveniez manager, même si vous n’en ressentez pas l’envie ou n’en avez absolument pas les compétences. Cela ne se discute plus, être manager est devenu une promotion au lieu d’être une compétence. Pour ce faire, l’on vous fait suivre une formation en leadership – souvent débilitante – ; vous entrez dans une posture – une imposture plutôt– où vous devrez ressembler à un moule donné, même si vous n’avez aucun charisme, aucun leadership…

La vaine bonheurisation

On plaque fréquemment l’idée qu’il faut à tout prix être heureux dans l’entreprise, la mode est au bonheurisme, au rooftop végétalisé, au baby-foot, à la floraison des chief happiness officer – de vrais emplois fictifs – qui prennent les collaborateurs pour des imbéciles car il est impossible définir le bonheur. Comme dit l’adage, « Le bonheur épouse mille formes, mais aucune forme de l’épuise ». Il n’existe pas d’uniformisation du bien-être, lequel est plutôt très personnel et diffère grandement d’un individu à un autre. Les pires crimes n’ont-ils pas été commis au nom du bonheur de la population ? Ainsi, nous inversons souvent la cause et la conséquence : le bonheur est la conséquence d’une action et pas sa cause. Parce que nous avons la possibilité d’agir pour être.

La chimère du collectif

Le collectif est devenu un idéal, un totem où l’on invite l’intelligence collective à se pencher sur les problèmes, nous en faisons un process idéal. Or le collectif n’est pas un bien en soi, une valeur, on sait bien que 60% des réunions ne servent à rien. Il faut préparer ses dossiers avant d’assister à une réunion, sinon elle ne servira pas à grand-chose. Une réelle action collective implique une conscientisation (personnelle) du risque ou d’un intérêt.  Les salariés d’une entreprise sont solidaires seulement quand, par exemple, cette dernière risque de fermer, tout comme les pompiers sont solidaires car ils ont conscience que leur vie est en jeu.

La bienveillance jusqu’à l’écœurement

On entend sans cesse parler de bienveillance. Ici aussi, comme le bien-être et le collectif, le terme s’est galvaudé pour en devenir écœurant. Souvent confondu avec la complaisance, on préfère édulcorer ou passer sous silence le réel pour en atténuer les aspérités. Le brainstorming n’ose plus la contradiction, la norme est à la positivité. Or il n’y a rien de plus violent que le non-dit. L’idée la plus juste c’est celle qui dépasse la contradiction. Il faut oser la contradiction, ce qui ne veut pas dire non plus entrer en conflit.

Julia de Funès sur scène
Conférence de Julia de Funès le mardi 14 mars 2023 à Genève

PISTES DE RÉFLEXION POUR SE PROJETER

Comprendre le sens du travail

Nous traversons une crise de sens. Heidegger disait à l’époque que les sciences servaient à innover, à rendre l’homme plus libre, plus heureux. Au 21e siècle, ce n’est plus du tout la même chose, les entreprises se technicisent, si elles n’innovent pas, elles disparaissent. Or la technique est le moyen de faire quelque chose. Le sens c’est la finalité. Ne pas pouvoir répondre à la question du sens, c’est la déshumanisation de l’entreprise, la procédurisation des taches. Les gens ne voient plus à quoi ils servent. Le travail n’a pas de sens en lui-même, il n’a pas de valeur morale, comme l’amour, la justice, etc. On ne travaille pas pour rien, mais pour être payé. Si notre travail a du sens, c’est qu’on lui trouve une extériorité (partir en vacances, fréquenter des collègues, etc.). L’entreprise ne constitue plus une finalité en tant que telle. Elle n’est qu’un moyen pour une cause plus grande qu’elle-même. Les entreprises qui n’ont pas une raison d’être forte ne font absolument plus aucun sens. On le sent particulièrement dans la jeune génération qui ne rêve plus d’intégrer de grandes compagnies par le seul fait de leur notoriété ou leur prestige. Nous sommes dans un culte de l’authenticité.

L’action comme marqueur fort ou quand Nietzsche entre en scène

Nous avons tous en nous une volonté de puissance comme le disait Nietzsche, elle correspond à une énergie vitale intérieure, un rayonnement intérieur, une volonté au carré, vouloir sa propre volonté, l’envie d’avoir envie comme disait Johnny… voilà qui est séduisant, y compris dans le monde du travail. Le courage d’être soi-même, le courage de décider.

Prendre des risques au sein de l’entreprise

Montaigne disait que l’action repose. Julia de Funès propose une logique de l’action véritable, que les jeunes imposent d’ailleurs. Elle présuppose une prise de risque. La capacité à prendre des risques, c’est jouer avec les contingences. Il y a moins de risque à prendre un risque qu’à ne pas en prendre du tout. À noter que l’intuition, autrement dit ressentir une expérience de l’intérieur, aide au discernement dans la prise de risque. C’est le fameux exemple du pilote de l’Hudson*.

La confiance comme condition de l’action.

Pour agir il faut une certaine dose de confiance (du latin confidere : cum, « avec » et fidere « fier »). Lorsque l’on croit, c’est qu’on ne sait pas, c’est donc l’opposé de la connaissance, impossible de faire les deux en même temps. Faire confiance est une décision personnelle, qui se révèle souvent rentable dans le monde de l’entreprise. En particulier lorsqu’une personne nous démontre que nous en sommes dignes.

Remerciement Conférence Julia de Funès
Conférence Julia de Funès à CREA le mardi 14 mars 2023 à Genève

En conclusion, les entreprises devraient cultiver des qualités intrinsèquement humaines : le sens de nos actions, la confiance, la prise de risque. Alain disait Ne décidant jamais, nous dirigeons toujours. Autrement dit, c’est à nous de donner le sens que l’on souhaite à une situation. Le sens est une question de lucidité, une question de volonté humaine. Aucune situation n’est une fatalité.

Retranscription par Illyria Pfyffer

* Chesley Sullenberger, dit « Sully » est un pilote de ligne américain, expert en sécurité aérienne. Qualifié de héros par les autorités américaines, il fait la une de la presse mondiale pour avoir sauvé les 155 passagers et membres d’équipage du Vol US Airways 1549 en posant, le 15 janvier 2009, sur le fleuve Hudson à hauteur de Manhattan, son Airbus A320 dont les deux turboréacteurs se sont retrouvés à l’arrêt à la suite d’un double impact d’oiseaux. (Extrait Wikipedia)

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